•  

    Elle court.

    De tout son souffle, de toute son âme et de tout son cœur, elle court. 

    Plus vite qu’elle ne l’a jamais fait, fendant l’air, survolant les buissons, elle suit les oiseaux. Les yeux levés vers le ciel, elle se fit à son instinct, elle esquive les irrégularités, slalome entres les arbres sans même les voir. Elle fixe les oiseaux de la reine qui, les serres chargées de leur butin, retournent dans le palais. 

    Lorsqu’elle entend le frémissement de l’eau elle est obligée de d’arrêter sa course. Devant elle s’étend la rivière. Impossible de la traverser à pieds. Elle jure, rage, elle a perdu les corbeaux.

     

    Le soleil est haut dans le ciel lorsqu’elle redescend le cours de la rivière. Elle a faim, mais elle est décidée à ne pas s’arrêter tant qu’elle n’a pas trouvé le repère qu’elle a planté sur l’autre rive, un peu plus tôt. Elle avait marqué l’endroit où elle s’était arrêtée, avant de chercher où elle pouvait traverser le court d’eau. Elle établira son campement face au repère et, le lendemain, lorsque les corbeaux reviendront elle sera du bon côté. 

     

    Elle s’arrête net. Il lui semble avoir entendu quelque chose. Les sens en alerte elle approche doucement sa main de sa hanche. Elle empoigne sa courte épée et guette la forêt. Les minutes passent et rien ne bouge. Elle reprend son chemin, mais ne lâche pas son arme. Elle l’entend de nouveau, plus proche, plus fort. Un battement de son cœur résonne dans son propre corps. Elle se retourne et lui fait fasse. Elle a à peine analysé la situation que le lynx se jette sur elle. Elle l’esquive de justesse et dégaine. La bête grogne, montre des dents. Elle fléchit légèrement les genoux, se répète qu’elle ne doit pas se laisser gagner par la peur. Elle place sa lame devant elle, consciente que la bête l’attaquera de front. Après quelques secondes, le lynx charge. Rapidement, elle prend appui sur une jambe et pivote pour se laisser assez de place pour frapper. Avec force sa lame traverse le corps de l’animal, le clouant au sol. Elle retire son épée du corps affaibli et d’un geste propre vise son cœur pour abréger ses souffrances. Elle essuie son arme, la range. Alors qu’elle observe la dépouille du lynx, un sourire se dessine sur son visage. 

    Son entraînement à payé.

    Elle a vaincu le lynx.

    Elle pourra vaincre la reine.

     

    Elle allume un feu lorsque la nuit tombe, il devrait tenir les bêtes sauvages à l’écart et lui permettre de se reposer un peu. En regardant les flammes danser et en repensant à l’animal qu’elle a vaincu un peu plus tôt elle sent son corps rempli d’espoir. Elle s’allonge, gardant tout de même une main sur son épée, et pour la première fois depuis quelques mois, elle s’endort l’âme légère. 

     

    Ses rêves sont noirs et flous. Elle se voit courir dans un océan de brume grise. Il semble interminable et tout autours d’elle résonne les cris des corbeaux. Ils sont cassants, ils se moquent d’elle. Dans les croassements, elle croit deviner des mots. Ils lui disent qu’elle n’est pas assez forte, qu’elle n’y arrivera pas, qu’elle ferait mieux de retourner chez elle. 

     

    Mais chez elle, personne ne l’attend.

    Elle se met alors à hurler. Pour couvrir le bruit des corbeaux. Pour les faire partir. 

    Et ça fonctionne, le silence se fait.

    Elle se retrouve de nouveau seule.

    Alors elle le voit, bien plus grand que les autres, bien plus grand qu’elle.

    Un corbeau blanc vient vers elle.

     

    Elle se réveille en sursaut alors que la lueur orangée du soleil se distingue à peine entre les arbres. À peine a-t-elle ouvert les yeux qu’un cri déchirant fend l’air. Un cri qui semble sortir des profondeurs les plus noirs, un cri qui hante beaucoup de nuits, mais pour elle, un cri d’espoir. Elle retourne vers la rivière pour se rincer le visage alors que les corbeaux passent au-dessus d’elle, descendant vers les villages. Une heure plus tard, quand ils reviennent et elle est prête.

     

    Elle court pendant un peu plus d’une heure avant que le terrain ne décrive une pente douce. Au bout d’un quart d’heure de plus, elle a perdu énormément de terrain. Elle est arrivée au pied des montagnes d’Aondor et elle ne peut pas maintenir le rythme alors que le relief est de plus en plus abrupte. Pourtant, il est hors de question qu’elle s’arrête dans la forêt, ni qu’elle perde une journée. Alors, son corps en sueur, ses mollets en feu, elle continue de courir de tout son cœur. 

    Quand elle perdit le dernier corbeau de vue elle fut bien obligé d’abandonner la course. Continuer sans repère dans cette forêt maudite revient à se suicider et, mourir avant d’atteindre son but lui est tout bonnement impossible. En s’arrêtant, elle ne peut contenir sa rage, elle hurle alors que des larmes roulent sur ses joues. Elle pleure ainsi, à s’en casser la mâchoire, pendant de longues minutes, sa poitrine se soulevant douloureusement au rythme de ses sanglots. Quand elle se calme enfin elle se sent vidée de son énergie, assise au pied d’un arbre elle regarde le ciel, la tête vide de toute pensée. Loin au-dessus de la forêt les nuages passent lentement, au même rythme des brides de souvenirs investissent de nouveau son esprit. 

    ……………..

     

    Elle posa sa dernière carte, une dame de cœur.  Etait-ce un présage ? Elle préféra ne pas y penser. Elle avait appris à lire les signes et le fait qu’ils n’avaient pas remportés le dernier pli n’annonçait rien de bon. Ams et elle se félicitèrent d’avoir remporté la partie, pourtant son sourire n’était pas honnête. Sans un mot de plus, elle prit la jeune fille brune dans ses bras.  Elle sentait les larmes monter, bientôt elles allaient la submerger mais elle luta du mieux qu’elle peut. Elle lâcha son amie et la regarda. Même si Ams était plus jeune, elles avaient quasiment grandi ensemble et les deux jeunes filles étaient très proches. Sa gorge se serra et un poids tomba sur son cœur à l’idée de la quitter.

    De tous les quitter. 

     

    Elle devait leur dire au revoir, mais ne pouvait pas s’y résoudre. Elle voulut dire quelque chose, mais dans son esprit les mots se mélangeaient à l’angoisse, la tristesse et l’excitation. Elle regarda chacune des personnes présente et réussit enfin à prononcer quelques mots.

     

    « Merci. Pour tout. »

     

    Sans ses amis, elle n’aurait jamais pu imaginer partir le lendemain pour le château de la reine. Ils l’avaient soutenu et aider comme ils le pouvaient. Certains d’entre eux auraient donné n’importe quoi pour venir avec elle, mais elle avait toujours refuser catégoriquement. 

     

    Tout le monde le savait, pour traverser la forêt maudite et affronter la reine, il fallait une volonté de fer et un but bien précis. Et cela, elle seule l’avait, du moins elle souhaitait réussir plus que tout le monde.

    Rien ne garantissait pourtant qu’elle y arriverait.

     

    Et ça, tous ceux présents, le savaient parfaitement. 

     

    L’ambiance était lourde, personne n’osait parler. Elle avait envie de rajouter quelque chose, de leur dire combien ils comptaient pour elle, qu’elle avait une dette envers eux, tous son corps lui criait de dire quelque chose de plus mais, rien ne sortait. Elle n’en avait pas la force. Elle s’était entraîné de longs mois afin de devenir plus forte et voilà qu’elle avait ni la force de prononcer quelques mots ni celle de regarder ses amis en face. Ce fut Ams qui brisa le silence.

     

    « Tu en aurais fait autant pour nous. Et tu vas le faire, en nous débarrassant de cette reine de malheur et de ses corbeaux.»

     

    Elle sourit un peu.

     

    « Bien sûr que je vais le faire, tu me prends pour qui ? »

     

    Avant qu’elle ne puisse répondre, elle la prit une nouvelle fois dans ses bras. Ses joues désormais humides et son cœur plus lourd que jamais elle lui murmura une nouvelle fois des remerciements.  

     

    Puis elle étreignit chaque personne du groupe. Samantha, avec qui elle avait passé des nuits blanches à refaire le monde, et surtout revoir son plan. Epimoni, la personne la plus douce qu’elle connaisse, lui murmura des mots d’encouragements. Elle sentait dans sa voix, que tout comme elle son amie avait peur. Elle la rassura comme elle put, mais elle-même était angoissée. Gabriel lui mit une claque sur l’épaule.

     

    « Fais gaffe à toi.

    - T’inquiètes que je reviendrais pour qu’on se tape. »

     

    ……………..

     

    Ils lui ont donné tellement de leur temps et de leur énergie qu’il est hors de question qu’elle laisse tomber. Forte d’une volonté nouvelle, elle se relève. Elle décide d’occuper la fin de matinée en posant des collets pour avoir de la viande fraîche à manger. Une fois cela fait, elle décide de s’entraîner un peu. Elle commence par quelques mouvements basiques, étire tous ses muscles puis sort son épée. L’arme est magnifique, l’acier dans lequel elle a été forgée est encore intact et brillant. Ironiquement, sa garde est décorée d’aile de corbeau et de petits ornements qui se fondent parfaitement dans le manche jusqu’au bout. Encore un souvenir, non seulement elle a fait forgé cette épée par l’un des meilleurs ferronniers du pays, mais en plus, elle a été bénie par la Gardienne de la Grande Bibliothèque de Saskav. L’épée qu’elle tient entre ses mains est insensible à la magie, un atout majeur pour combattre la reine. Elle se met à frapper dans le vide, elle exécute des mouvements qu’elle connaît par cœur, elle se concentre sur sa respiration, ouvre son esprit alors que son corps se réchauffe. Elle s’exerce ainsi pendant presque une heure. Lorsqu’elle arrête un mince filet de sueur coule le long de son front, pourtant ce n’est pas assez, elle a besoin de plus. Elle range son épée et s’accroche à une branche pour essayer de faire quelques tractions. Alors elle commence à se sentir de nouveau vivante, ses bras souffrent, mais plus important, sa respiration la brûle. Elle peut respirer, elle est en vie, tout ira bien tant qu’elle respire.

     

    Elle s’arrête enfin en début d’après-midi, exténuée, elle prend tout de même le temps de faire le tour de ses pièges. Elle relève deux lapins, en laisse partir un et prépare l’autre. Elle prend son temps pour manger, après tout elle doit de nouveau attendre les corbeaux. Elle monte ensuite son camp, comme la nuit précédente elle dormira en hauteur dans un arbre. Elle prépare tout de même un petit feu pour se réchauffer avant la nuit. 

     

    Elle se réveille avant l’aube alors qu’il pleut. Elle regarde le ciel complètement couvert. Quel enfer, la pluie ralentira sa courses, mais elle risque aussi de ne pas voir les corbeaux dans le ciel. Elle saute à terre, elle ne se rendormira sûrement pas. Elle remarque alors que le contenu de son sac est éparpillé au sol et celui-ci est en lambeau.

     

    « Eh bah super. »

     

    Une journée qui commence de bien mauvaise augure. Son morale au plus bas elle rassemble ce qu’il reste de ses affaires et les tris. Bien entendu, il ne reste plus de nourriture, elle n’a pas intérêt à traîner trop longtemps. Elle décide tout de même de refaire le tour des collets qu’elle a mis la veille. Un peu de chance dans sa malchance matinale, elle y trouve deux bêtes. Cette fois, elle les prépare toutes les deux pour se faire de nouvelle réserves. La pluie ne facilite pas le processus, mais elle réussit à allumer un petit feu. 

     

    L’aube se lève, le cri retenti, comme il retentit maintenant depuis six mois tous les matins. Ce cri qui la remplie d’espoir. Elle lève les yeux vers le ciel.

     

    « J’arrive Corvus. »

     

    Les corbeaux passent au-dessus d’elle. Elle finit de préparer les lapins et les attend de nouveau. 

    Elle ne les suit pas très longtemps, même si le terrain et de plus en plus accidenté elle se retrouve assez vite hors de la forêt. 

     

    Devant elle il y a beaucoup moins d’arbres et le sol forestier a laissé place à de grandes étendues d’herbe jaunie par le soleil. Le terrain monte encore un bon kilomètre en pente douce et elle est incapable de distinguer ce qu’il y avait derrière. Elle début son ascension tranquillement, plus elle prendra de la hauteur meilleure la vue sur la vallée sera. Elle aimerait prendre son temps pour observer les environs, mais elle est trop proche de son but. A chaque pas qui la rapproche du sommet elle sent son cœur s’emballer un peu plus. 

     

    Bientôt, elle verra le château de la reine.

    Bientôt, elle le retrouvera.

    Bientôt, elle le sauvera. 

     

    La vue depuis le sommet est à couper le souffle. Durant les derniers mois elle a énormément voyage à travers le continent d’Esso’ya et pourtant elle n’avait jamais rien vu de tel. Dans la vallée, se dresse un palais, saisissant, imposant. Ses tours les plus hautes montent à en crever le ciel, elles se distinguent aussi par leur finesse et leur élégance. La pierre dans laquelle il est battit est d’une clarté et une propreté époustouflante, le château ne semble pas avoir subi les ravages du temps et pourtant, il donne l’impression d’avoir toujours été là, seul au milieu de la vallée. Les tuiles dont les toits sont ornés reflètent la couleur du ciel, c’est tellement féerique qu’elle se demande si elle ne rêve pas. Son inspection de la battisse par ses côtés, et tout lui semble soudain irréaliste. De tous les côtés, la montagne donne l’impression d’avoir coulé dans la vallée pour de nouveau s’élever en ce magnifique palais. Pendant un long moment, elle se perd dans la contemplation de ce qu’elle a sous les yeux, incapable d’en détacher le regard, incapable de respirer lorsqu’elle sent une présence derrière elle. Elle se retourne vivement, se relevant et se met en position de décence. Devant elle se dresse un homme, sans expression, il la fixe, la main sur la garde de son épée, prêt à s’en servir. 

     

    «Doucement avec l’épée, je ne cherche pas les ennuis.

    - Vous mentez. »

     

    Le vent souffla sur la montagne et aucun des deux opposants ne fait de mouvement ni ne parle pendant un petit moment. Il ne semble pas vouloir la tuer sinon il aurait déjà dégainé et ils seraient actuellement en train de se battre.

     

    « Qui êtes-vous ?

    - Je suis Siphé, je suis une Âme Perdue. Voulez-vous vraiment tuer la reine ? »

     

    Elle ne mentira pas, pas à une Âme Perdue.

     

    « Oui.

    - Pourquoi ?

    - Elle m’a pris quelque chose, je vais le récupérer. »

     

    Encore un silence, Siphé semble la jauger, elle a de la peine pour lui. 

    Une Âme Perdu, condamnée à errer sur les terres qui l’ont vue mourir, car seul l’impossible peut les libérer. 

    « Tu pourras entrer au château par le Nord. Il y a un tunnel qui mène à l’intérieur du château. La reine ne le connaît pas. Quand tu seras à l’intérieur, trouve les escaliers en cristal. Il sera en haut. Bonne chance. »

    Et il disparaît purement et simplement. Elle cligne plusieurs fois des yeux, elle se demande si elle a rêvé. Finalement, peut être que les astres sont avec elle. Elle étudie le château une dernière fois puis cherche un chemin par lequel elle pourra descendre. Elle devra être prudente et sans doute faire de long si elle ne veut pas se casser le cou. Elle lève les yeux vers le ciel puis se met en marche.

    « J’arrive Corvus. »

     

    ……………..

     

    C’était le début du printemps, l’air était chaud et les récoltes étaient bonnes. Tout le monde au village était de bonne humeur et il semblait que rien ne pourrais leur arriver. Elle flânait près de la rivière avec Ams, Gabriel et Epimoni alors que Corvus aidait son père à réparer l’écurie. 

     

    Souvent, elle se disait qu’elle aurait dû les aider. Alors elle aurait été là, elle aurait pu faire quelque chose, elle aurait dû être là-bas pour s’interposer. Mais si ça avait été le cas elle serait sûrement morte sur place. Comme Jonathan. 

     

    Quand les quatre amis arrivèrent en vu de la place du village la reine était là, dans une robe de noir et d’or, à ses pieds, gisait le corps du père du Corvus. Devant elle Corvus, les muscles tendus, l’expression figée il semblait lutter contre des liens invisibles. Soudainement un craquement sinistre retenti dans l’air, le visage de son amant se déforma en un cri silencieux et son corps se ratatina sur lui même. Des plumes blanches percèrent sa peau alors que ses os continuaient de craquer. A sa place se tenait maintenant un corbeau au magnifique plumage blanc. Complètement figée de terreur elle vie la reine enfermer son bien-aimé, maintenant corbeau, dans une cage. Son corps se mit en marche, elle commença à courir. La reine porta la cage devant son visage.

     

    « Tu aurais dû m’écouter mon mignon et venir avec moi de ton plein gré. »

     

    Alors que la souveraine disparaissait lentement, le cri qui sortit de sa gorge lui déchira les cordes vocales. Le corbeau cria à son tour et son cri se grava dans le cœur de la jeune fille. En sanglot, elle tomba à genoux au milieu de la place. Le ciel si bleu paraissait maintenant terne. En emmenant Corvus, la reine avait pris une partie d’elle qu’elle doutait fortement pouvoir récupérer. Corvus, son amour, avait maintenant disparu et le soir même, on enterrait son père.

     

    A genou sur sa tombe, elle jura froidement de faire tout ce qui serait en son pouvoir pour ramener son bien-aimé.

     

    ……………..

     

    La porte de bois ornée d’or qui se dresse devant elle est la dernière barrière qui la sépare de Corvus. Elle dégaine son épée et pousse la porte. Celle-ci glisse sur le sol sans émettre un seul bruit. La pièce qui se trouve derrière était circulaire et baigne dans la lumière qui provient de la multitude de la fenêtre qui l’entoure. Face à elle, se dresse une cage dorée dans laquelle se trouve un corbeau blanc.

    Son cœur rate un battement, elle n’en croit pas ses yeux. Elle doit se contrôler de toutes ses forces pour ne pas courir vers lui et rester sur ses gardes. Elle brandit son épée devant elle et s’avance prudemment. Une fois dans la pièce, elle jette un regard autour d’elle. A part une bibliothèque et un bureau il n’y a rien, ni personne. Baissant  sa garde elle s’approche enfin de la cage. A l’intérieur le corbeau s’agite et pousse des petits croassements de joie. Elle lève son épée dans les airs afin de frapper la cage pour la briser lorsqu’elle se retrouve figée dans son mouvement. Derrière elle, une voix résonne :

     

    « Tiens, tiens, qu’avons-nous là ? »

     

    De nouveau libre de ses mouvements, elle se retourne lentement. La reine se tient dans l’ouverture de la porte et la regarde de haut en bas comme si elle n’était qu’un petit insecte insignifiant, juste une distraction dans sa vie de château. En regardant la reine de toute sa hauteur, c’est exactement ce qu’elle ressent. Elle est juste un insecte dans un monde beaucoup trop grand pour elle, un enfant dans un univers d’adulte qui existait depuis des milliers d’années déjà et qui existerait encore longtemps après elle.  Les longs cheveux roux de la reine descendaient en de magnifiques cascades sur ses épaules, d’où elle était elle avait l’impression qu’ils devenaient de la poussière d’or. Sa couronne, aussi piquante que les tours de son château, reposait fièrement sur le haut de sa tête tandis une robe noire redessinait parfaitement les formes de son corps avant de d’évaporer sur le sol. 

     

    Elle doute, est-elle vraiment capable de battre une telle créature ?

     

    Derrière elle, le corbeau gémit paniqué, il lui crie de fuir. 

     

    Elle prend son épée à deux mains et la sert fort. Elle n’a pas fait ce chemin pour laisser tomber maintenant. Par deux fois, elle prend une grande inspiration, elle ordonne à son cœur de se calmer. 

     

    « Je suis venue te tuer, Reine ! Et reprendre ce que tu m’a volé ! »

     

    La reine s’avance dans la pièce, son regard se pose sur Corvus puis revient sur elle.

     

    « Sache jeune fille, que je ne suis pas du genre à rendre mes jouets. »

     

    Elle passe une main dans ses cheveux, les rejette derrière son épaule et la regarde encore une fois de haut. Son épée dans la main, elle ne quitte pas son ennemie dans les yeux. Pendant qu’elle peut, elle essaie de ralentir le plus possible son rythme cardiaque, comme son maître lui a appris. 

     

    Une fois qu’il est assez lent, plus rien en dehors de cette pièce n’existe. Elle sait exactement où est placé chaque meuble et tout autour d’elle se déroule au ralenti. La reine lève une main et quand un éclair doré arrive sur elle, elle n’a aucun mal a esquiver. Elle prend une impulsion, se projette en avant, garde ses bras en arrière pour leur donner plus de force et frappe. Un bruit de métal retenti, la reine est maintenant armée, elle aussi d’une épée. Elle la repousse. La jeune guerrière quitte l’un de ses appuis pour pouvoir viser les hanches de son opposante. De nouveau un choc. Elle s’éloigne, analyse de nouveau son ennemi. La reine prend cela comme une occasion d’utiliser sa magie. Elle laisse la boule de feu venir à son épée qui l’annihile. Elle lit avec satisfaction la surprise sur son visage. Non seulement une épée bénie par une sorcière des constellations est insensible à la magie, mais elle peut aussi annuler ses effets.

     

    Pas un mot n’est prononcé, seule dans la pièce résonne les bruits d’un combat entre deux guerrières. Parce que c’est ce qu’elle est devenue, au fil des mois et des entraînements, elle est devenu quelqu’un capable de combattre une reine.

     

    Elle voit une ouverture, frappe de nouveau de toutes ses forces et entaille le bras de son opposante. Elle a un avantage, cette dernière n’est plus habituée à se battre sans magie, combien de lunes se sont écoulées depuis son dernier combat ? Sans doute beaucoup. Elle grimace, du sang coule sur le sol en petites tâches, et même le corbeau dans sa cage se met à espérer. Elle frappe une nouvelle fois, elle est une nouvelle fois parée. Le bras libre de la reine plonge vers elle alors qu’elle ne s’y attend pas, en voulant l’éviter, elle est déséquilibrée, elle pare de justesse le coup suivant et sous l’impact roule au sol. La reine ne perd pas de temps, au-dessus d’elle, elle frappe de nouveau. Le coup atteint sa hanche. Avec son pied elle réussit à déséquilibrer son opposante, elle roule sur le côté, plus loin d’elle, pour avoir le temps de se relever. Sa hanche hurle, elle doit se pencher un peu pour étouffer la douleur. Le corbeau cri et elle se ressaisit. Elle se relève et repart à l’attaque. Durant de longues minutes elles luttent à armes égales, aucune d’entre elle ne veut céder devant l’autre.

     

    Puis la souveraine des corbeaux semble décider qu’elle en a assez de se petit jeu. Elle repousse la jeune fille et elles se font de nouveau face à travers la salle. Elle reprend sa magie en main et cette fois-ci, au lieu de viser directement la petite humaine elle vise le plafond au-dessus d’elle. Un craquement sinistre retentit quand le premier bloc de pierre se détache. Elle roule sur le côté pour l’éviter, mais d’autres le suivent. Elle peine à éviter la masse qui se détache du plafond. Lorsque le bruit s’arrête la reine est déjà sur elle. Elle évite le premier coup porter vers son cœur, mais pas le deuxième qui vise sa cuisse. Elle tombe sur le côté, l’autre ne lui laisse pas de répits. Alors que la lame file de nouveau sur elle, elle utilise la sienne pour l’arrêter et à pleine main attrape celle de la reine. Elle tire dessus pour la faire tomber. Alors qu’elle est déséquilibrée, son épée s’enfonce dans le ventre de son ennemie qui hurle de douleur. Elle la retire et se dégage de nouveau. Elle a du mal à tenir sur sa jambe blessée et elle perd énormément de sang. Elle sent que la conclusion du combat approche et ce qu’elle lit dans les yeux de la reine lui fait peur. Elle rassemble ses forces et se jette une nouvelle fois sur elle. La reine esquive et emportée dans son élan, elle frappe la cage du corbeau qui roule par terre. Elle se retourne, de la sueur perle de son front, sa vision est trouble. Elle ne doit surtout pas perdre son calme, elle doit rester focaliser sur le combat qu’elle est en train de mener.  Continuer d’anticiper les attaques de son opposante devient de plus en plus difficile. Elle le sent, elle perd du terrain. Elle passe rapidement sur un appui et surprenant la souveraine en lui faisant un croche-pied. Elle est de nouveau déséquilibrée. Elle entrevoit sa chance et frappe de nouveau de toutes ses forces alors qu’une lame s’enfonce dans sa poitrine. La reine n’aurait pas de pitié, elle la retire immédiatement et envoie le corps de la jeune femme plus loin. Elle se relève essoufflée. Brusquement un cri affreux retenti dans la pièce. Au sol, la cage est brisée et le corbeau est libre. Il se jette sur sa tortionnaire toutes serres devant et lui lacèrent le visage. Prise de douleur elle lâche son arme, essaie de se protéger avec ses bras, mais elle ne peut rien faire contre l’animal fou de rage. Lorsqu’elle tombe, il ne s’arrête pas de déchiqueter son corps. C’est seulement lorsqu’il sent que la vie l’a quittée qu’enfin, il retrouve ses esprits.

     

    Il vole jusqu’à Alba, elle est allongée sur le dos et semble respirer encore, ses cheveux bouclés, d’un blond vénitien qu’il adorait, formait une couronne lugubre autours de sa tête. Son poumon est sévèrement perforé. Elle n’en a plus pour longtemps. Elle lève une main tremblante vers le corbeau blanc qui s’est posé à côté d’elle et lui caresse la tête. Elle s’excuse et il ne peut rien répondre.

     

    Sa main retombe sur le sol.

     

    Baignant dans le sang de sa bien-aimée le plumage blanc du corbeau se teinte de rouge. Il reste ainsi de nombreuses heures, peut-être des jours. Il ne ressent pas la faim, il ne ressent pas grand-chose. 

     

    Il déploie ses ailes et s’envole dans les airs.

    Le cri qu’il avait réprimé déchire le ciel.

    Un cri de pur désespoir.

    Ni celui d’un corbeau ni celui d’un humain.

    Alors, il replie ses ailes.

     

    Et le corbeau rouge se laisse tomber vers la forêt. 


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